Minuit se lève, en haut des tours... [prio Amo] [Terminé]

La nuit tombait dans les ruelles sombres de Seedorp. Aëlys scrutait froidement les alentours, guettant la moindre trace de présence humaine. Un chat passa à toute allure devant elle, quelques casseroles attachées à la queue. Face à elle se dressaient de vieux bâtiments désaffectés, probablement remplis d’Ellipsis. Du moins si leur source n’avait pas menti. Se recomposant un visage enfantin et perdu, la jeune femme s’avança sous la lumière jaunâtre des réverbères. La rue était déserte. Les immeubles miteux qui bordaient la route au bitume élimé semblaient déserts. Mais l’étaient-ils réellement ? Leur informateur les avertit d’une probable présence à cet endroit. Un plan de grande ampleur y était étudié en ce moment même. Mais l’homme était une taupe envoyée par l’Inquisition. Comment croire ses paroles ? Une stupide taupe. N’importe qui lui tendait un paquet de billets et le voilà servant l’autre camp. Heureusement que les informations ne se fondaient pas toutes sur les élucubrations d’un pauvre hère de ce genre près à servir n’importe qui pourvu qu’on le paye grassement.

La loyauté. Voilà qui était indispensable. Sans loyauté, rien ne pouvait être. Restez loyal à celui que vous considérez comme votre maitre, votre patron et vous aurez une chance de vous élever, de ne plus rester un simple exécutant. Le cas d’Aëlys était différent. Elle connaissait bien des Cerbers tenant cette ligne de conduite comme leur unique raison de vivre. L’ambition. Elle se foutait bien d’être à la tête de l’Inquisition. Trop de responsabilités. Trop de problèmes. Exécuter les ordres était bien plus simple. Et surtout. Surtout, elle savait que c’était bien la seule chose qu’elle puisse faire susceptible de lui attirer l’attention et même, qui sait, la fierté ou l’amour de son père. Mais trêve de réflexions inutiles. Elle devait rendre son rapport pour le lendemain à dix heures. Il ne fallait pas trainer.

Elle fit quelques pas supplémentaires, observant attentivement les alentours. Il ne semblait pas y avoir âme qui vive dans les parages. Mais rester là, ne pouvait qu’attirer l’attention des hypothétiques personnes passant dans les environs. Se fondant dans l’ombre d’une bâtisse proche, elle continua sa route. Deux hommes visiblement bien éméchés la regardèrent passer sans avoir le temps de l’interpeler. Rien dans l’attitude de la jeune femme ne trahissait se déguisement enfantin parfait qu’elle revêtait en tout temps, sauf dans l’intimité de sa chambre.

Deux heures passèrent. Dire qu’aucune activité suspecte n’était présente dans les environs serait un euphémisme primaire. Il n’y avait réellement aucune activité à signaler dans les parages. Qu’elle fut suspecte ou non. Un autre qu’Aëlys aurait pesté d’avoir passé une partie de sa nuit sur les traces d’un renseignement aussi hasardeux pour n’obtenir finalement aucun résultat. Mais pas elle. Son père lui avait ordonné de le faire. Elle le faisait. Point barre. Elle se détourna et rebroussa chemin, repassant devant les deux ivrognes aperçus quelques heures auparavant. Tous deux étaient affalés à même le trottoir, une bouteille en main. La jeune femme hésita un instant à appeler une brigade de nettoyage mais vu l’heure tardive… Elle les observa un instant avec peine. Qui sait ce qu’ils avaient vécu pour en arriver là ? Ils n’avaient certainement pas eu autant de chance qu’elle-même… Elle en était là de ses considérations philosophiques lorsqu’une main crasseuse lui saisit le mollet.

- Hey, reste avec nous !
- Oui, c’est vrai ça, reste avec nous. Comment tu t’appelles ?
- Lâchez-moi.

L’homme avait de la force. Malgré l’inquiétude glissée dans sa voix elle savait pouvoir en venir à bout sans trop difficultés, seulement elle hésitait à utiliser son pouvoir devant eux. S’ils étaient des taupes des Ellipsis s’en était fait de son image d’adolescente perdue. Et elle répugnait à les éliminer. Optant pour une solution intermédiaire, elle glissa une main dans son dos et y fit apparaître une illusion d’arme à feu bien suffisante dans la pénombre environnante, orientant celle-ci de manière à suivre le mouvement de son bras.

- Je répète, lâchez moi.
- Oh, ok, ok. S’tu l’prends comme ça…

Aëlys de dégagea, gardant l’image en main jusqu’à ce qu’elle soit loin. Revenue dans la ruelle par laquelle elle avait pénétré dans le quartier, elle fit disparaître celle-ci, observant un bref instant le soudain vide laissé par l’arme qu’elle venait de dématérialiser. Personne ne devait soupçonner son pouvoir. Les Ellipsis se connaissaient tous. Si on la voyait faire, s’en était fini de sa couverture d’ado perdue.

Un bruit étouffé. Le dernier soupir de deux êtres dont la vie s’achève là. Il n’y avait personne dans la rue quelques instants auparavant. Alors qui ? Les deux ivrognes s’étaient ils entretués ? Si vite ? Si silencieusement ? C’était peu probable. Pour n’émettre aucun de son de la sorte il fallait qu’ils aient été liquidés par quelqu’un d’expert en la matière. Et habitué à se dissimuler pour qu’elle n’ait pas même perçu sa présence. Elle se figea un bref instant, songeant aux familles que ces deux hommes laisseraient derrière eux. Elle ignorait qui les avait tués. Mais de toute évidence, celui qui l’avait fait connaissait son affaire. Si elle ne voulait pas être sa prochaine cible, il valait mieux filer.

Une voix derrière elle. Une allusion à peine voilée. Aëlys se retourna en une fraction de seconde. L’homme qui lui faisait face ne devait pas avoir plus de sept ans d’écart avec elle. Le sang sur ses mains indiquait clairement son rôle quant aux deux meurtres qui venaient de se produire. Et il l’avait vu l’arme. Il ne semblait guère avoir plus de quelques années d’écart avec elle. Mais de ce qu’elle avait pu entendre jusque là, il pouvait tout à fait l’éliminer d’un geste sans que son corps ne soit retrouvé avant plusieurs jours. Non pas qu’elle manquerait à bien des gens. Si elle était honnête avec elle-même, elle devait bien s’avouer que son décès ne risquait pas d’émouvoir son père outre mesure. Elle n’était qu’un sous fifre à ses yeux. Une expérience ayant bien tournée. Si elle se dévouait pour lui c’était justement pour que cesse d’apparaître cette déception perpétuelle dans son regard froid. Quant à ses « collègues »… Elle n’avait pas de réelles affinités avec eux. Le milieu des Cerbers n’était dirigé que par l’ambition et chacun s’appliquait à mettre des bâtons dans les pieds du voisin. Malgré tout elle ne voulait pas mourir. Elle aimait trop la vie, fut elle aussi sombre et difficile que celle qu’elle menait actuellement.

Non, l’attaquer était exclu. Mais quoi alors ? Il avait vu son pouvoir. Ou du moins, il savait qu’elle en possédait un. Et rares étaient les gens dans ce cas. Ils étaient soit Ellipsis. Soit Cerbers. S’il appartenait aux premiers, s’il était un Vollipsis ou toute autre taupe en leur faveur elle était foutue. Aucune ado « normale » ne possédait de pouvoirs. Quand à la course… Un regard suffisait pour deviner qu’il l’aurait rattrapée en quelques secondes, attirant plus encore son attention sur elle. La seule solution était de se débrouiller pour qu’il oublie rapidement son existence en se rendant insignifiante. Avec un peu de chance, il n'était d'aucun bord et se révèlerait un bon informateur pour la suite. Son masque de poupée fragile n’avait heureusement pas bougé lors de ce bref examen de son interlocuteur, fruit de longues heures d’entrainement. Adoptant son ton le plus hésitant, elle s’adressa à lui.

- J’ai conscience que nos rues ne sont pas sures. Mais, qui êtes vous ?

A peine les mots étaient ils sortis de ses lèvres qu’elle se maudit pour son inattention. Elle venait en une phrase de lui offrir deux précieux renseignements quand au fait qu’elle n’était pas juste de passage à Tyral et habituée à ses rues mal famées. Elle s’en serait giflée. Priant pour qu’il ne remarque pas la double allusion contenu dans ses paroles, elle continua de passer en revue les différentes options envisageables. Puisque la fuite et l'élimination étaient exclues, que le discours devenait la seule façon de s'en sortir, elle avait bien peu de chances de s'en sortir sans répercussions sur sa couverture. Une seringue de tranquillisant peut être. Elle savait en avoir stocké dans la poche interne de son blouson mais même après ? Le tuer ? Cette idée lui répugnait mais... C'était elle ou lui. Remontant la fermeture éclair de sa veste, elle attrapa discrètement une capsule de somnifère ainsi que la seringue adaptée, le tout glissant docilement dans sa manche, attendant le moment propice pour passer à l'acte.

Amosis Opilion... L'homme ne lui disait rien. En réalité, toutes les missions, de moindre importance - avouons le - qu'elle avait remplies jusque là s'étaient on ne peut mieux déroulées. Au pire un accrochage avec l'un des supposés Ellipsis qu'elle surveillait, mais toute personne qu'elle avait croisé durant ces longues nuits qu'elle passait en ville finissait le plus souvent emmenée par les hommes de l'Inquisition pour être incarcéré. Du moins elle l'espérait. Tous n'avait qu'un idéal, faussé certes, mais un idéal. Et tout idéal valait qu'on se batte pour lui. L'idée qu'ils puissent être exécutés sans sommation juste parce qu'ils se trompaient de voie lui semblait être un prix bien élevé. La vie n'était pas tendre. Chacun avait droit de s'accrocher à quelque chose pour tenir. Malheureusement pour eux, le désir d'être aimée de son ère primait sur toute autre chose. Fut ce la liberté de chacun à suivre un idéal, quel qu'il fut.

L'homme face à elle parlait, longuement, décryptant chacun de ses mouvements précédents. Cette sensation d'être analysée était très désagréable. Elle avait la soudaine impression que rien de ce qu'elle pourrait faire ne serait pas remarqué par l'inconnu. Et dans les faits il avait tort. La fuite était une option tout à fait envisageable. Un mur de pierre matérialisé entre eux, il lui faudrait faire un détour. L'impact d'une telle image sur l'esprit humain est immense. Le danger était qu'il ne parvienne à la rattraper avant qu'elle ait mis son illusion en place ou soit trop lancé dans sa course pour s'arrêter à temps, ce qui aurait pour conséquence logique une traversée du mur immatériel qu'elle projetait de mettre en place, et une information très précieuse donnée à son informateur quant à son pouvoir.

La confiance... Personne n'avait jamais eut la confiance de la jeune fille. Hormis sa mère. Et bien sur son père. Et voilà que cet inconnu, cet... Amosis, lui demandait de lui accorder la sienne. Ses paroles étaient enjôleuses, sa théorie intéressante. Cela correspondait, peu ou prou, à ce qu'elle même ressentait. Elle qui abhorrait la violence, avait été corrompue par le climat d'insécurité régnant à Tyral, n'hésitant plus à y avoir recours si le besoin s'en faisait sentir, répugnant néanmoins toujours à tuer. Mais se fier à quelqu'un ainsi... Elle qui depuis l'âge de six ans n'avait connu pour toutes relations humaines que la froideur de son père et l'hostilité de ses collègues, chacun étant prêt à faire n'importe quoi pour empêcher l'autre de s'élever dans la hiérarchie de l'Inquisition. Et lui lui proposait, comme ça, de but en blanc, de lui accorder sa confiance, alors que leur rencontre ne datait que de quelques minutes à peine...

- Pourquoi vous faire confiance ? Je ne vous connais pas. Vous ne me connaissez pas. Quelle relation de confiance espérez vous instaurer dans ces conditions ?

La seringue était toujours là, au creux de sa paume, parfaitement dissimulée par la manche de ce blouson trop grand, contribuant d'autant plus à son image d'adolescente paumée. Elle se tenait prête à agir mais cet homme l'intriguait. Que voulait il exactement ? Qu'attendait il d'elle ? Bien qu'ayant grandie confinée, elle pas ignorante de ces relations d'amour et d'amitié que tissaient les gens entre eux mais pour sa part, elle n'en comprenait pas l'intérêt. Non. Il fallait qu'elle arrête d'écouter ces paroles qui pourtant s'accordaient parfaitement à ses convictions intimes. Prenant garde à ne pas baisser les yeux vers le muscle dans lequel elle prévoyait de planter la seringue de tranquillisant, son regard bleu restait fixé sur celui de son interlocuteur.

- Je n'ai aucune raison de vous faire confiance M. Opilion.

Mais malgré tout ses dires avaient ébranlés la volonté d'Aëlys. Elle hésitait, trahissant par là son manque d'expérience, n'osant pas passer à l'acte.